Espiens, le 2 mai 1911

Mon Cher Ami,

Vous n'en doutez pas, je me réjouis plus que personne du charmant accueil que vous avez rencontré à Prouille; Je suis particulièrement heureux que la retraite ne vous ait pas paru longue et la solitude trop pénible. Sans doute, la pensée de l'accomplissement du devoir est un encouragement considérable, elle ne suffit pas toujours pour prévenir les ennuis et les sacrifices. Tout ce que vous me dites dans votre dernière lettre a dissipé toutes mes craintes, j'étais même heureux des diverses coïncidences qui ont été une précieuse diversion et ont contribué à rendre le séjour intéressant.

Ma lettre va vous parvenir, l'avant-veille du jour où vous pourrez chanter votre “Deo gratias”. Je m'y unis de tout coeur et je partage votre joie.

La semaine dernière, j'ai reçu une lettre de l'ancien curé de Fa. Il me rappelait que j'avais promis de venir à Rennes au commencement de mai; il m'invitait, en conséquence, à aller le voir, ajoutant qu'il désirait me soumettre un incident qui s'est produit. Ce pauvre curé a une écriture si extraordinaire que je ne pus lire le nom de l'endroit où il se trouvait pour la semaine. La première lettre était ainsi faite III. Mon alphabet ne mentionnait pas cette forme, je me suis douté, après coup, que cela pouvait bien figurer un M, dans mon hésitation j'ai attendu pour répondre son retour à Fa.

Dans cette réponse, je lui exprimais que le programme de mes occupations et des engagements pris, me demanderait au moins une semaine, peut-être davantage, et dans ces conditions, je préfère attendre le mois prochain, être totalement libre, et prendre ainsi tout le temps voulu pour faire honneur à mes promesses. Le voyage seul prendra deux jours; puis, j'aurai des arrêts forcés à Montauban et à Toulouse. Vous jugez par là combien ma semaine sera entamée. A tous égards, il vaut mieux savoir retarder de quelques semaines. Tel est le sens de ma lettre.

Je me suis occupé de l'époque où je pourrai faire faire la première communion. J'ai proposé au Vicaire Général la date du 11 juin, fête de la Trinité. Alors je serai totalement tranquille, j'aurai passé les fatigues des Rogations et j'aurai lâché mon panégyrique de Jeanne d'Arc que je dois donner, le 28 mai.

J'avais oublié de vous parler de la Passion que j'ai prêché à Nérac, le soir du vendredi saint. J'ai obtenu grand succès et j'ai trouvé le moyen d'intéresser un immense auditoire, composé surtout d'hommes, pendant une heure et demie. Voici le secret de mes ressources.

Pour le récit, j'avais fait une concordance d'après les quatre Evangiles, mais le clou de mon discours était celui-ci. Pendant mon séminaire à Saint-Sulpice, j'ai eu la précieuse chance d'avoir pour professeur d'hébreu et d'Ecriture sainte; d'abord M. Le Hin, un orientaliste des plus distingués – c'est de lui que Renan tenait toutes ses notes, dont il a tant abusé dans sa Vie de Jésus; – puis, je passai entre les mains de M. Vigouroux. J'avais donc les notes de ces messieurs qui ont fait plusieurs excursions scientifiques en Terre Sainte. Je possède en plus les textes des Pères et les Contemplatifs, ce qui m'a permis de fournir des détails et des commentaires qui ont séduit l'auditoire. Il y avait sans doute le travail personnel, mais c'est surtout les recherches d'autrui qui m'ont valu ce grand succès. Ce qui fait que je suis tantôt juriste, tantôt apostolique, parfois théologien. J'utilise ainsi de mon mieux une vie consacrée toute entière à la défense de l'Eglise.

A votre retour à Rennes, vous voudrez bien dire à Marie que je compte sur vous deux pour les fêtes de la première communion et surtout combien je serai heureux de vous faire visiter notre pays si beau et si riche en souvenirs. Ici, j'ai eu pour un de mes prédécesseurs un neveu de Clément V, originaire de Villandreau, dans la Gironde.

Adieu, mon Cher Ami, bonne et aimable fin de retraite, c'est le voeu de votre bien affectionné,

E. Huguet.