Lors de mon troisième séjour estival en la charmante station thermale de Rennes les Bains, distante de quelques vols d’oiseau de Rennes-le-Château, je me suis fait, comme une bonne centaine d’estivants et curieux de la région, littéralement piéger par les annonces diffusée, sous le patronage de la municipalité, laquelle avait mis à sa disposition les moyens ad hoc, par un nommé Jean Sinet, se présentant comme président d’une association de recherches locales en cours de constitution à Paris (!) [1].

La première conférence d’icelle, le 23 juillet, au cours de laquelle se produisait, avec le sus dit, un nommé Christian Doumergue se disant «archiviste» sans nous préciser d’ailleurs d’où il parlait et quel étaient son rattachement institutionnel ni sa formation scientifique, portait, sous le titre «Marie-Madeleine, la reine oubliée», sur la filiation supposée de Jésus Christ et de Marie Madeleine via le Sang Réel (alias Saint Graal) [2]. Cette théorie, partiale et partielle, remake dans la plus pure suite des travaux du nazi Otto Rahn (dans les années 1939-43) s’alimentait, en filigrane, à une imaginaire du sang et de la race et/ou de la religion aryenne supposée pure et fondant la lignée des souverains français de l’Ancien Régime comme «race sacrée». Les travaux des deux compères doivent, selon eux, par la découverte des trésors du Razés, contribuer à redonner au christianisme sa pureté originelle. Interrogés du fait de leur position affichée de spécialistes, sur des sources ou réceptions connues de la légende de la sainte, honorée aux Baux de Provence (donc quand même assez loin de Couiza), les deux conférenciers devaient soit avouer leur ignorance, soit s’embarquer dans des exposés dilatoires sans réelle relation avec le sujet traité, la légende du Graal trouvant pour Mr Sinet son origine chez les Wisigoths! Ce que démentent cent années d’historiographie érudite. Passons sur l’ignorance des sources bollandistes ou ethnographiques à ce sujet, jamais évoquées. Quant aux travaux des universitaires américains sur cette question (Elaine Pagels), ils furent largement éludés, silence suspect.

Mais le bouquet de feu d’artifices d’à peu près historiques, théologiques et épistémologiques, consacrant un imaginaire déconnecté de toutes approches fondées de la réalité sociale aux époques considérées et pouvant entraîner les esprits les plus faibles dans une régression dont il est difficile de mesurer les effets (si ce n’est à observer certaines personnes présentes semblant plus mues par une adhésion de type sectaire que critique), nous était fourni le 3 août, toujours dans les locaux municipaux de Rennes les Bains par la conférence de Mrs Sinet (le même, qui déclare que c’est un nom emprunté, pour raison de sécurité!) et Pierre Jarnac (alias Michel Vallée [sic]), présenté comme historien, (dont nous n’avons d’ailleurs en deux heures trois quart à peine entendu le son de la voix!). Le thème : de Rennes-le-Château au da Vinci Code, 60 ans de recherches. Passons sur le fait que le Da Vinci Code n’est pas un ouvrage de recherches, mais un roman policier populaire, et poursuivons.

Il devait y être fait état de la question du trésor de Rennes-le-Château jusqu’à son récent avatar le «Da Vinci Code» via, -c’est ce qui était annoncé par voie d’affichage-, les travaux de Lamy sur Jules Verne et Patrick Ferté sur Gaston Leroux. De ces deux derniers auteurs, il n’a été nullement question, ce qui nous ramenait à la relation Rennes-le-Château -- Da Vinci Code. Ce dernier étant qualifié de roman «pour la plage» ou encore «les toilettes» par Jean Sinet après la mention de son tirage (30 millions d’exemplaires vendus de par le monde), il ne devait pas en être plus question quant au fond et au traitement de l’information. Le fait qu’il s’agisse -et uniquement- d’une fiction policière était quasiment occulté, tout se passant, pour nos compères, comme si ce jeu intellectuel d’un maître du maniement des codes sociaux et culturels, le professeur Dan Brown [3], jamais évoqué en tant que tel ni dans ses travaux scientifiques, devait être considéré comme parole d’évangile «tant soit peu gnostique». Quant aux approches du roman, hormis une brève mention des sources supposées de l’auteur, (du nazillon Plantard à l’anglais Lincoln, via l’incontournable soit disant savant Gérard de Séde) et ce sans jamais entrer dans l’analyse de celles-ci, à aucun point de vue. Pour nous le simple fait de montrer une diapositive de la couverture de leurs ouvrages ne saurait en effet tenir d’analyse littéraire, historique ou idéologique. Traiter de documents quels qu’ils soient, c’est d’abord et toujours les soumettre à une critique interne et externe, mais la méthodologie n’est guère le fort de nos deux auteurs.

Donc restait, pour les conférenciers à traiter de l’affaire Rennes-le-Château et de ses origines, entendons le(s) fameux « trésor (s) » et son (leur) rôle.

C’est là que s’affirmait avec ampleur et emphase, dans un discours monodirectionnel et tant soit peu paranoïaque, le tout fondé, quant à la forme, sur des précautions oratoires du type «si on accepte l’hypothèse», «on peut supposer», «probablement», et c’est aussi là que s’accumulèrent - avec un vrai bonheur pour l’observateur de ce type de discours mu par une obsession quasi monomaniaque et servi par une loghorrée inextinguible - nombre de contre vérités historiques posées comme axiomatiques, citons en quelques unes :

• Les wisigoths aryens apparus au 5ème siècle dans la région et dépositaires du trésor de Salomon caché dans le Razés sans qu’aucun commencement d’une preuve scripturaire, archéologique ou linguistique soit avancée par le conférencier ont survécu à travers les cathares. Ici les deux intervenants semblent ignorer (ou occulter) délibérément les travaux des historiens qui ont abandonné depuis plus de vingt ans la filiation aryenne des cathares pour des raisons parfaitement démontrées [4]. Il est vrai que lorsque la monomanie wisigothe-arienne est exposée comme facteur explicatif unique de l’ensemble des événement de l’histoire de France et des pays limitrophes, de 450 à nos jours, toute critique historique un tant soit peu fondée devient insupportable et doit être passée sous silence. Ceci ne concerne d’ailleurs pas, sur ce point précis, que cette mouvance associative, nos cinq séjours en Languedoc, de 1987 à 2005, à observer les fondements de l’imaginaire local contemporain nous ont permis de le constater à mainte reprises.

• Les Templiers ont été, pour Jean Sinet, fondés au 11ème siècle près de Rennes-le-Château par les bénédictins, eux mêmes noyautés (c’est bien connu!) par les aryens, et c’est en Languedoc et non en Champagne qu’il faut chercher leur origine. Les historiens, qui ont depuis de nombreuses décennies mis en lumière le rôle de Saint Bernard de Clairvaux et de plusieurs seigneurs de sa famille au début du 12ème siècle, 1118 (Hugues de Payns, G. de Montbard) étant convoqués au magasin des accessoires.

• Blanche de Castille (et son trésor conservé dans la région de Rennes-le-Château, dans un lieu à découvrir) était «d’origine wisigothique» (l’histoire nous apprenait jusqu’ici qu’elle était petite fille de la reine Aliénor d’Aquitaine et d'Henri II Plantagenêt, sa mère Aliénor de Castille ayant été baptisée par Achard de Saint Victore, en la collègiale Saint Symphorien de Domfront en 1171).

• Fouquet et Louis XIV ont pu faire construire au 17éme siècle respectivement Vaux le Vicomte et Versailles grâce à l’or de Rennes-le-Château trouvé par les Hautpoul (dans ce cas si le trésor a été dépensé à ce moment, pourquoi le chercher encore de nos jours?). La preuve réside dans une fresque de Vaux Le Vicomte qui montre une montagne (donc pour nos auteurs évidemment les Pyrénées, une grotte (donc celle du Bugarach) et une fontaine (à déterminer parmi les nombreuses sources d‘eaux vives du secteur). La référence ici du conférencier aux Francs Maçons s‘imposait comme crypteurs du rébus, sauf à considérer que la Franc-Maçonnerie spéculative n’apparaît que près d’un siècle plus tard, (1717 à Londres), et encore plus tard en France. En revanche, jamais les conditions de production de l’œuvre, celles de sa réception, les intentions de l’auteur dans son contexte artistique ne furent interrogées.

Et la machine à décrypter de poursuivre, à vide, puisque hypothèses se confondent avec thèses, sur ces bases: citons pêle-mêle quelques florilèges de cette «conférence», :le trésor de Delphes amené par les celtes au Razés, l’énigme du masque de fer enfin résolue car liée au trésor de Rennes-le-Château, de même en est-il du mystère de l’Atlantide, une soucoupe volante entière (sic) cachée sous le Bugarach, et annoncée par une légende de trésor diabolique en plein Moyen Age, et pour finir la présence repérée dans les montagnes de l’Aude des agents Judéo Belges du Mossad, celle de services secrets français et américains, tous attelés à la découverte du secret le plus important de l’humanité.

Ici nous étions bien loin de toute approche scientifique construite, mais bien plutôt dans un discourse au service de la mise en évidence d’une croyance à laquelle chacun se doit d’adhérer sauf à passer à l’ennemi, «ceux d’en haut»…suspendant les voies de toute pensée critique.

Il est dommage, alors que tant de jeunes chercheurs dont de nombreux universitaires talentueux, travaillant sur la base de méthodologies éprouvées en socio-anthropologie, linguistique, histoire, histoire des religions, ethnologie, aux universités proches de Montpellier, Perpignan, Toulouse, Pau, ne demandent qu’à communiquer sur leurs travaux, de voir de telles billevisées s’affirmer, avec des appuis officiels, comme parole quasi sacrée.

L’approche du sacré suppose d’abord, silence, humilité, travail et acceptation de la remise en cause, elle se nourrit de la confrontation disciplinaire et interdisciplinaire. Elle est doute épistémologique…

Notes.

[1] il est vrai qu’un dépôt de statuts à la Sous préfecture de Limoux serait bien moins classe ou in !

[2] voir pour plus de détails notre ouvrage, La quête du Saint Graal et l’Imaginaire, Corlet, 1997. Préface du pr Gilbert Durand.

[3] dans le même genre, nous préférons pour notre part l’immense roman très érudit et autrement littéraire de Umberto Eco: Le pendule de Foucault, …

[4] voir à ce sujet, entre autres ouvrages sérieux, la synthèse remarquable, «Les cathares devant l’Histoire, mélanges offerts à Jean Duvernoy», textes rassemblés, sous la direction de Martin Aurell, par Anne Brenon et Christine Dieulafait, Cahors, éditions de l’Hydre, 2005, 457 pages