L’Indépendant
29 November 1967


Original Article
English Translation


Encore l’or de Rennes

les Wisigoths à Bérenger Saunière, documents chiffrés. testaments perdus, pierres inconnues: le mystère s’accroît


Un livre annoncé depuis longtemps vient de paraitre chez Julliard “L’or de Rennes ou la vie insolite de Bérenger Saunière, curé de Rennes-le-Château”

M. de Sède, qui en est l’auteur, tenait à consacrer au “trésor” de Rennes, un ouvrage semblance à ceux que lui inspirèrent en 1962 les Templiers de Gisors, puis les Cathares dont il livra, au printemps dernier, une sorte d’histoire pseudo-mystique qui, de l’avis d’un éminent spécialiste, ne présentait qu’un intérêt très relatif.

Par contre, dans cette région au moins, toute relation du fameux “mystère de Rennes” éveille une curiosité que les années n’affaiblissent pas. Aussi le livre en question était-il impatiemment attendu, d’autant plus que son auteur, au cours de ces pérégrinations, avait rendu public certains éléments de sa documentation. On avait donc quelques vues sur l’ouvrage en gestation. Eh bien, nul ne sera déçu, car le fruit tient la promesse des fleurs.


Nous nous sommes imposé le devoir d’interroger des personnes qualifiées sur les lieux et dans les centres voisins, à Limoux, à Carcassonne, à Narbonne, à Perpignan. Nous exprimerons donc aussi exactement que possible l’opinion générale en nous bornant à signaler quelques points précis.

Si on considère que le but de M. de Sède est vraisemblablement de prouver qu’on a récéle un trésor à Rennes, que ce trésor fut découvert et pour un faible part utilisé, qu’on doit le découvrire une seconde fois pour l’utiliser encore, il est remarquable que de toute cette histoire, cinquante pages à peu près concernant vraiment le sujet: la vie de Bérenger Saunière.

Encore M. de Sède a-t-il tenu à l’embarrasser de tous les poncifs qui, depuis une vingtaine d’années, hantent l’imagination populaire, tels que la gavée des canards du curé avec des biscuits à la cuiller. Si on reste perplexe devant le récit d’un voyage de l’abbé Saunière à Paris. Parti aux frais de l’évéché nanti de lettres de recommandation pour le directeur de Saint-Sulpice, chargé de faire traduire ou expliquer des documents qu’il aurait trouvés en démolissant le maitre-autel de son église, Saunière passera trios semaines dans la capitale, le temps qu’il faut, parait-il, pour séduire une chanteuse de l’Opéra. La discussion qui s’instaure entre lui et l’évéque Mgr Billard, en 1893, ne manqué pas de sel. M. de Sède la reproduit, dit-il, telle qu’on la lui a rapportée. On se demande à 75 ans de distance, quel heureux témoin doté d’une longévité aussi voyante, a pu l’informer aussi lucidement!

Les documents qui sont reproduits dans le livre, M. de Sède a avoué n’en avoir jamais vu que des copies, c’est pourquoi, ajoute-t-il, “devant des documents de cette espèce, on n’est jamais trop méfiant”. Et pour cause! Ces copies furent soumises à M. Debant, archiviste en chief de l’Aude, qui rendit à leur sujet un rapport que nous avons lu. Il y est écrit: “On peut conclure que les ‘parchemins’ de Rennes sont des essais d’imitation très frustés de certains manuscrits littéraires du haut Moyen-Age. L’emploi de plusieurs signes que nous venons de noter, en particulier celui des lettres qui évoquent les écritures onciale et caroline, révèle sans doute chez leur auteur une relative connaissance de la paléographie ou, tout au moins, de l’épigraphie médiévales et les anachronisms qui s’y glissent sont toutefois si frappants que celui-ci parait avoir voulu se livrer à une facétie beaucoup plus qu’a une contrefaçon”. D’autres archivists – paloégraphes, consultés, ont émis un avis analogue: il s’agit d’une “galéjade”.

Mais, nous dit-il, d’autre part, il parait surprenant qu’un individu se soit imposé tant de travail et ait pris tant de peine pour faire une simple plaisanterie. Celui qui a fabriqué ces grimoires, il n’y a peut-être pas si longtemps, a dû adapter, tronquer quelquefois des textes, des écritures, en remanier totalement un, transcrire le tout en surchargeant les mots de caractères inutiles pour donner l’impression qu’on aurait voulu à la fois dissimuier quelque secret, et cependant l’indiquer par des signes particuliers. Non, ces grimoires n’ont été confectionnés qu’en vue d’une supercherie. A un moment donné, on a voulu tromper quelqu’un. Quand et qui? Cela est une autre affaire, et on ne peut se livrer qu’à des hypothèses. En tout cas, si les déchiffreurs professionnels de l’armée française à qui M. de Sède les aurait, nous dit-il, soumis, n’en ont rien tiré, c’est que ces grimoires ne veulent rien dire et n’ont été faits que pour abuser.

L’auteur nous promène bien entendu dans le cimetière de Rennes et, comme tout le monde, tombe en arrêt devant la pierre tombale de Mme d’Hautpoul. Cette pierre a bien existé puis – qu’en 1906, les membres de la Société d’études scientifiques de l’Aude la virent et la reproduisirent dans leur bulletin. Elle disparut l’année suivante, et on accusa l’abbé Saunière de l’avoir dissimulée. Mais comment M. de Sède peut-il dire que l’epitaphe avait été composée par Antoine Bigou, le curé de l’époque?

Comment peut-il nous donner la reproduction d’une autre dalle portant une inscription mystérieuse en caractères grecs? Celle-là, personne ne l’a vue. Elle fait partie du merveilleux qui entoure Rennes, comme deux autres inscriptions que personne n’a vues ni ne verra. Il appule ses affirmations sur l’autorité d’Eugène Stublein, instituteur public dans l’Aude au XIXe siècle, qui fut le grand-père de Maria Siré. Tout le monde sait que Stublein s’occupa d’astronomie et y acquit quelque notoriété, mais personne ne lui a jamais découvert des compétences en archéologie.

Tout extrait qu’aurait pu tirer de son oeuvre, archéologique prétendue, le vénérable abbé Courtauly, ne peut-être accueilli qu’avec réserve.

Et qui donc a jamais vu la statuette “d’or massif en partie fondue” qu’on aurait trouvée en 1928 dans une maison en ruine bordant le ruisseau des Couleurs?

Ne parlons pas de l’interprétation inattendue que M. de Sède donne aux inscriptions latines qu’on trouve au cimetière et dans l’église de Rennes-les-Bains, ni du commentaire ésotérique de l’oeuvre du pauvre abbé Boudet: ils procureront au lecteur averti une amusante surprise.

Tout cela n’est pas sérieux. Mais il y a plus.

Pourquoi inclure dans ce fatras le meurtre du curé de Niort-de-Sault, survenu en 1732 à Niort? A-t-il la moindre relation avec le “mystère” de Rennes? M. de Sède n’a pas bien lu de bulletin de la “Société des Arts et des Sciences de Carcassonne” oû cette affaire est relatée.

Il n’a pas plus de raisons d’y inclure aussi l’assassinat du curé de Coustaussa survenu en 1897. Et on peut déplorer que M. de Sède n’ait pas pris de renseignements plus étendus.

Comme si ce n’était pas assez de cadavres, il fait encore un mystère de la découverte, en 1956, au cours de fouilles, de trois corps dans les jardins de la tour. S’il avait pris la peine d’interroger les magistrats, accessibles et bienveillants, qui dirigèrent l’énquête. Il aurait appris sinon l’identité exacte des victimes, du moins leur origine, et dans quelles conditions particulières elles avalent perdu la vie. Notons que l’affaire ne présentait plus aucun intérêt, douze ans après la fin des hostilités.

Enfin, on comprendra notre réserve devant l’enregistrement de prétendues déclarations de l’abbé Courtauly et les commentaires pseudo-historiques qui forment le corps du livre. On ne peut le prendre en considération.

Voilà ce qu’on peut dire d’un ouvrage qui, assis sur d’autres bases, eut été utile comme mise au point. Une occasion perdue. Nous nous en tiendrons là, ne trouvant pour conclure que ces deux vers de Musset:

“La lune et le soleil se battaient dans ses vers,
“Vénus avec le Christ y dansait aux enfers”


Jean DUNYACH



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